Dans le cadre du festival des arts de rue Les Tombées de la Nuit, Ahmed Tobasi présentera la pièce de théâtre And Here I Am au Théâtre du Vieux Saint-Étienne, les 2 et 3 juillet 2025. Ce one-man-show retrace avec humour son histoire de réfugié palestinien, malgré la gravité du sujet. Rencontre.
Unidivers – Bonjour Ahmed, merci de prendre le temps de nous répondre. Où êtes-vous actuellement et que faites-vous de vos journées ?
Ahmed Tobasi – Bonjour, je suis actuellement à Malmö, en Suède. J’ai postulé à une résidence pour des réfugiés en Europe, et ils m’ont accepté ici. En ce moment, je travaille sur ma prochaine pièce de théâtre, qui s’appellera Empire. Toujours avec mon point de vue palestinien, elle parle du futur qui nous attend tous : lorsque nous ne pourrons plus habiter la Terre et que même Elon Musk sera un immigré (rires). L’expérience And Here I Am m’a beaucoup plu, donc ce sera un nouveau one-man-show.

Unidivers – Comment as-tu commencé le théâtre ?
Ahmed Tobasi – Pendant mes quatre années en prison israélienne, je faisais des petits sketchs humoristiques pour détendre l’atmosphère entre nous. Puis une vidéo a fuité. Heureusement, les gardes n’ont pas su que c’était moi, donc j’ai évité un beau lot de punitions. Mais je ne comprenais pas comment un mini-spectacle comme celui-là pouvait provoquer autant d’ennuis. Quand je suis sorti, j’ai voulu continuer. Continuer de choquer et de faire rire.
Unidivers – Comment est venue l’idée de créer And Here I Am ? Était-ce avec ton co-auteur Hassan Abdulrazzak ?
Ahmed Tobasi – Tout est parti d’une blague. J’étais dans une production théâtrale avec sept autres acteurs. Je taquinais souvent la troupe en disant : « Pourquoi sommes-nous sept alors que je me suffis à moi-même ? ». Puis on m’a pris au mot et on m’a mis au défi de créer mon propre spectacle. Il ne manquait plus qu’à trouver l’histoire. Des amis m’ont dit : « Mais enfin Ahmed ! Tu as vécu la guerre, tu as fait de la prison, de la résistance… Elle est là ton histoire ! ». Hassan Abdulrazzak, qui est irakien et britannique, m’a aidé à écrire. Il m’a guidé vers un équilibre entre récit de guerre – un registre qu’il connaissait bien – et les attentes d’un public occidental. J’ai eu beaucoup de chance de l’avoir à mes côtés.
Unidivers – Le sujet est en effet sensible. Comment te sens-tu quand tu partages ton vécu personnel en public ?
Ahmed Tobasi – Au début, je ne me sentais pas légitime. Pourquoi raconter mon histoire plus qu’une autre ? Certains ont vécu des choses encore plus atroces. Puis Hassan et Zoé Lafferty, notre metteuse en scène, m’ont convaincu : ce n’est pas que mon histoire, c’est celle d’une enfance palestinienne contemporaine. On grandit dans la guerre, elle façonne notre quotidien. On commence à avoir la responsabilité de nos familles et de notre pays dès 12 ans… Je ne raconte pas mon histoire pour sa singularité, mais pour son authenticité. Je veux que le spectateur marche dans les pas de l’enfant que j’étais. J’ai la quarantaine aujourd’hui, mais après avoir été trois fois réfugié, on se sent bien plus vieux.

Unidivers – Comment avez-vous abordé la dimension artistique d’un récit aussi politique ?
Ahmed Tobasi – Honnêtement, je ne l’ai pas vraiment « rendue » artistique. Elle est vraie, basée sur mon expérience. Je dirais même que je ne l’ai pas faite pour divertir, mais pour résister. C’est ce qui fait de moi un humain, dans un monde où l’on s’entretue encore. Ce que les gens retiennent souvent, c’est l’humour, mais ce n’était pas volontaire. Je raconte juste les faits ; c’est l’absurdité du réel qui rend ça comique. L’humour m’a toujours accompagné, même dans les pires moments. C’est là qu’on en a le plus besoin. Donc je ne joue pas la comédie, je raconte ce qui m’est arrivé.
« L’humour m’a toujours accompagné, même dans les moments les plus durs. C’est là qu’on en a besoin. »
Unidivers – La pièce est jouée depuis 2017. Comment son message politique est-il perçu aujourd’hui ?
Ahmed Tobasi – Il y a eu un changement net depuis le 7 octobre 2023. Avant, peu de festivals s’y intéressaient. On a quand même tourné, mais désormais, les réactions sont plus vives : soit on refuse la pièce, soit on la réclame. Parfois, des représentations sont annulées, mais cela me rappelle pourquoi je suis sur scène. Pourquoi je raconte cette histoire.
Unidivers – Quelle a été la partie la plus difficile de sa conception ?
Ahmed Tobasi – L’écriture a été très difficile. J’avais du mal à parler de ma vie privée, à choisir ce que je pouvais dire ou non. Il fallait aussi éviter les clichés sur les Juifs, les musulmans, et toutes les communautés évoquées, pour ne pas heurter un public occidental.
Unidivers – Un dernier mot ?
Ahmed Tobasi – Oui. Raconter mon vécu, c’est un combat que je mène avec d’autres. Je fais partie de la résistance palestinienne, mais aussi de tous les opprimés. Toutes ces guerres – au Soudan, en Ukraine, à Gaza – ne sont pas des conflits religieux ou de frontières. Ce sont les caprices d’un petit groupe de colonialistes blancs qui veulent toujours plus…
Unidivers – Merci, Ahmed Tobasi.
Infos pratiques :
Mercredi 2 et jeudi 3 juillet 2025
20h – Théâtre du Vieux Saint-Étienne, 14 rue d’Échange
Tarifs : 8 € / 4 € (tarif Sortir !)
Durée : 1h15
À partir de 14 ans
Spectacle en arabe, surtitré en français
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